Saint-Ouen Luttes n°28 du 20 février 2003

Au sommaire

Alstom - Transformateurs Saint-Ouen : Encore un plan de licenciements ! *

Notes de voyage en Palestine *

Saint-Ouen : Un urbanisme au service de qui ? *

Emplois jeunes en lutte ! *

Saint-Ouen - Foyer : La question du CARA, c’est : quel avenir ? *

Editorial : Non à la guerre impérialiste contre l’Irak ! Mais pas derrière Chirac. *

 

Alstom - Transformateurs Saint-Ouen

Encore un plan de licenciements !

Un nouveau "plan social" de 105 personnes a été annoncé à l’usine Alstom TSO (Transformateurs Saint-Ouen), deux ans seulement après le dernier plan de 140 suppressions d’emplois. Ce plan ferait passer les effectifs de 428 à 323, alors que l’usine comptait plus de 1 200 salariés, aux deux tiers ouvriers, il y a vingt ans. En 2001, la lutte avait imposé qu’il n’y ait aucun licenciement "sec" : que des départs volontaires et des mesures d’âge, c’est-à-dire des préretraites à partir de 55 ans. Moins d’une quarantaine pourraient actuellement bénéficier d’une telle disposition. Une quarantaine sur 105...

La réunion du Comité central d’entreprise devait avoir lieu à la Maison de la chimie, rue Saint-Dominique à Paris, ce mercredi 12 février. Mais les travailleurs en manifestation ont empêché la tenue de la réunion. Et vers 11 heures, il ont défilé dans l’avenue Gabriel Péri aux cris de "Non aux licenciements !". Ils réclament : " Zéro licenciement, Un emploi pour tous sur place, Un revenu décent, Une retraite à 55 ans, voire 50 ans pour les travailleurs exposés à l’amiante. "

" Le groupe Alstom, dit leur communiqué de presse, vient d’allonger la liste des vagues de licenciements qui touchent les salariés de France ces derniers mois. " Pour protester contre ces "patrons voyous" qui ne voient que leurs profits, et pour empêcher tous ces licenciements, soutenons la lutte des travailleurs de l’Alstom Saint-Ouen.

Loïc

Notes de voyage en Palestine

"Les Palestiniens doivent être touchés, et cela doit faire mal.

Nous devons leur infliger des pertes, des victimes, pour qu’ils paient le prix fort"

Ariel Sharon, le 5 mars 2002

C’est l’idée d’un jumelage entre Saint-Ouen et Balata, lancée il y a plusieurs années par la mairie, mais jamais suivie d’effets, qui a amené deux membres de l’association Saint-Ouen Solidarité Palestine à se rendre dans ce camp :

Balata

A notre arrivée, nous sommes accueillis par Mr Sl, qui nous indique la maison où nous allons dormir. Mr Sl est issu d’une grande famille (9 frères et une sœur), qui se trouve dans le camp depuis 1952 : " nous sommes arrivés pour quinze jours et nous sommes encore là cinquante ans après… ". La terre de son grand-père se trouve sous l’aéroport Ben Gourion. Il y a un an, il a perdu un fils, tué avec 5 autres garçons en train de bosser sur la route. Son fils K est mutilé, il a perdu un œil et a été blessé à la jambe dans l’explosion de sa voiture. Soigné à Naplouse, il nous dit qu’en un an il y a eu 300 morts et 500 blessés. Mr Sl est vétérinaire, presque au chômage à cause des blocages qui l’empêchent de se rendre régulièrement dans les villages alentour. Il tient un petit magasin de CD-Rom (piratés) et de téléphones mobiles. Il a fait un pèlerinage à La Mecque dont il est fier, autant que de la photo de son fils martyr.

Le lendemain, première visite du camp. La plupart des toits sont en tôle et certaines fenêtres n’ont pas de vitres. La chaussée boueuse est défoncée par le passage des chars. Des ordures jonchent le sol un peu partout, et dans la rue principale, comme les soldats ont fait sauter l’abattoir un boucher égorge une vache à même le sol : un ruisseau de sang s’écoule et amuse les jeunes enfants qui sautent d’une rive à l’autre. Hormis quelques rues un peu plus larges, la circulation se fait à l’intérieur de ruelles étroites : dans certaines d’entre elles on doit se mettre de profil pour passer. Un bidonville se trouve à une des extrémités du camp, où vivent des animaux mais aussi certaines familles nombreuses et pauvres, qui ne peuvent agrandir leur maison. Des impacts de balles sont visibles sur presque toutes les maisons, ainsi que des graffitis (politiques ou non) et des photos de martyrs partout. Martyr n’est pas synonyme de "suicidal-bomber", la plupart sont des civils tués par l’armée d’occupation. Seule une minorité des affiches met en scène des combattants armés.

Une petite agriculture est pratiquée à proximité du camp (légumes et quelques vaches ou moutons qui traversent parfois le camp en petit troupeau). Les prix de l’alimentation sont presque aussi chers qu’en France, mais le niveau de vie… En dehors du camp, les feux de signalisations sont aussi détruits, et les bulldozers ont creusé des tranchées à plusieurs endroits, ce qui limite les accès à la ville de Naplouse à une seule route.

Le camp a été créé en 1952, sur un terrain de 1 km2 loué par l’UNRWA (Office des secours et des travaux des Nations unis pour les réfugiés de Palestine au Proche-Orient) à un Palestinien du village de Balata. A l’origine, il n’y avait que des tentes pour les 2 000 premiers réfugiés. Aujourd’hui, plus de 22 000 personnes habitent ce camp. En 1998, le recensement n’indiquait que 18 000 habitants, mais le déclenchement de l’Intifada-Al Aqsa a fait revenir des milliers de chômeurs qui n’avaient plus d’autres solutions. La population du camp s’accroît encore de 5 % par an, avec une forte proportion des moins de 15 ans. Mais la surface reste la même, ce qui pousse à construire un nouvel étage sur les maisons ( qui en comptent au maximum 2). Le camp est entouré par les colonies et les postes militaires sur les hauteurs des collines alentour, dont le Mont Gesirim.

La famille étendue, avec les parents, le couple et ses enfants, les frères et sœurs, etc… est la norme. Les maisons accueillent donc de nombreux habitants " nous sommes entre 8 et 10 par chambre… " nous dira l’un d’eux. D’autant que la nuit il vaut mieux dormir au fond des maisons pour éviter les balles perdues. Ceux qui le peuvent ajoutent un étage lors d’un nouveau mariage pour que chaque ménage conserve son propre espace. Les maisons sont en dur, avec des toits en tôle ondulée, et sont prévues pour l’été : il n’y a pas vraiment de chauffage à part les radiateurs à branchement électrique ou à bonbonnes de gaz pour les deux mois d’hiver.

Nous entrerons dans plusieurs maisons qui ont fait l’objet d’interventions de l’armée pendant la nuit. Les soldats plastiquent la porte, puis crient à tous les habitants de sortir : ils arrêtent alors la personne qu’ils sont venus chercher. Pour plusieurs d’entre eux, O nous dit : " Je ne comprends pas pourquoi ils ont été choisis, ce sont des gens normaux. " Dans les maisons, les soldats tirent parfois au hasard sur les murs, laissant de nombreuses traces de balles. Toutes celles qui ont été fouillées lors de la dernière incursion, en avril, sont repérables par un signe tracé à la bombe de peinture rouge à côté de la porte. Les soldats ont aussi creusé des trous dans les murs pour passer en restant à l’abri d’une habitation à l’autre. Les habitants remplacent immédiatement les portes et les fenêtres endommagées… Un acte de résistance quotidien.

Des tirs réguliers frappent de simples passants, souvent lorsqu’ils se rendent d’un village à l’autre sans passer par la route. Le cimetière a aussi subi des tirs : deux personnes y sont mortes et le mur a été détruit à la roquette. Juste après la limite du camp, un petit quartier s’est constitué avec des familles issues du camp qui ont pu acheter de petits terrains. Ces familles espéraient éviter les destructions fréquentes dans le camp, mais cela n’a pas marché : un char est passé en détruisant voitures et façades, des tirs de roquettes depuis la colline ont endommagé les murs, un immeuble a été évacué puis plastiqué.

(Suite au prochain numéro)

Paul et Relou

Saint-Ouen

Un urbanisme au service de qui ?

Saint-Ouen change très vite, mais dans quelle direction et quel est le moteur de ce développement ? Le plus puissant provient des réserves foncières de la ville. Saint-Ouen, dirigé par un maire communiste depuis des décennies, comme Saint-Denis, Aubervilliers, Bagnolet, Malakoff, Montreuil, Ivry, est une municipalité de l’ancienne "ceinture rouge de Paris". Au milieu du XIXe siècle, les usines de Paris sont repoussées dans ces communes aux portes de la ville, au-delà des boulevards extérieurs. Des logements sociaux y sont construits pour loger les familles de travailleurs. A partir du milieu des années 1950, se constitue un important parc d’habitations à loyers modérés (HLM) qui remplace une partie des taudis de l’époque précédente. Les travailleurs s’y fixent mais cet habitat vieillit et ne répond pas aux conditions d’environnement et de confort exigés par les classes moyennes et les cadres. Dans les années 1975, les emplois industriels chutent suite aux fermetures d’usines. Les habitats ne sont guère rénovés pour ne pas accroître les loyers et ils conserveront des locataires en majorité ouvriers ou salariés qui votent à gauche. Pour des raisons électorales, la situation perdure mais au détriment d’impôts locaux très lourds.

Au tournant du XXIe siècle la donne change. Inquiètes de voir une fraction de leur électorat se tourner vers l’extrême-droite, ces mairies de gauche donnent le feu vert à des promoteurs immobiliers pour édifier de nouveaux ensembles à l’usage de la petite et de la moyenne bourgeoisie. Mais surtout ces mairies de l’ex-ceinture rouge, après bien du retard par rapport aux communes bourgeoises de l’ouest parisien, se sont engagées dans des opérations de "valorisation de leur patrimoine" et de "tertiarisation de leur activité", sous la pression du marché. Déjà plusieurs immeubles de bureaux avaient été construits dans les années 1980. D’après Les Echos du 21/11/02, à lui seul, le promoteur "Capital & Continental" a livré plus de 100 000 m2 de bureaux à des entreprises en bordure du périphérique sur l’avenue Victor Hugo. Dès 1990, des emplois ont été créés dans des sociétés de service, mais la ville manque de logements pour accueillir ces cadres et employés du tertiaire, bien que le rythme de construction soit rapide. Trois grandes ZAC devraient être mises en place à cet effet. Il faut dont utiliser d’autres terrains à bâtir.

Francis Godard, maire adjoint, " espère que les propriétaires de terrains encore disponibles, Ville de Paris, Réseaux ferrés de France et grandes entreprises ne spéculeront pas lors des cessions à venir ". Tout le monde a le droit de rêver. Mais, comme il est de gauche, le maire adjoint a signé avec l’Etat un protocole de coopération dans la résorption de l’habitat indigne qui porte sur 47 immeubles, représentant 693 logements, ce qui est plus qu’un peu, à condition, évidemment, que les loyers des habitats rénovés ne s’envolent pas eux aussi et que les habitants actuels ne soient pas obligés d’aller loger ailleurs.

Léo

Emplois jeunes en lutte !

Pour répondre aux manques de postes et de moyens dans les services publics et le secteur associatif, la gauche plurielle avait inventé, lors de son arrivée au pouvoir en 1997, un nouveau type de contrat précaire : les emplois-jeunes qui avaient l’originalité d’introduire dans le Code du travail des contrats à durée déterminée de cinq années. Aujourd’hui, on arrive au bout des cinq années. Ainsi, 76 000 aides-éducateurs, emplois-jeunes de l’éducation nationale, arrivant en fin de contrat en 2003 vont être virés. L’ancien ministre socialiste de l’Education, Claude Allègre, annonçait, dès 1999, que les aides éducateurs ne deviendraient pas " une nouvelle couche de fonctionnaires ". La droite suit ses paroles et comme le dit le Collectif des emplois-jeunes et surveillants Ile-de-France, c’est le plus grand "plan social" des années à venir qui est en marche.

Mais les emplois-jeunes n’entendent pas se laisser lourder. Un peu partout en France, ils se mettent en grève, prennent la tête des manifestations enseignantes, manifestent en masse, occupent les administrations publiques avec une bonne pêche. Regroupés en Coordination nationale des collectifs emplois-jeunes et surveillants, ils ont élaboré une plate-forme revendicative avec notamment :

–pour les emplois-jeunes du secteur public, la titularisation sans condition de concours ni de nationalité, des formations qualifiantes, la revalorisation des salaires ;

–pour les emplois-jeunes des associations, la valorisation des acquis professionnels, la revalorisation des salaires, des dotations conséquentes de l’Etat aux associations employeurs ;

–pour les surveillants, l’abandon du projet d’arrêt du statut d’étudiants surveillants…

–et plus généralement l’arrêt de toute précarité avec la titularisation et la possibilité d’accès à des formations adaptées pour tous les précaires (emplois-jeunes, CES, CEC, contractuels, vacataires…).

Les syndicats enseignants, mises à part quelques sections du SNES, la CNT et SUD, sont encore frileux dans leur soutien à ce mouvement. Les "journées nationales d’action" dont la prochaine est prévue le 13 mars ne répondent pas vraiment à l’ampleur du problème pour des salariés précaires qui ont engagé la lutte et sont en grève depuis parfois plus d’un mois dans certains établissements du département. Pourtant c’est avec la solidarité de l’ensemble des salariés du secteur public, dont le travail est aussi remis en cause par la précarité grimpante, que le mouvement pourra renverser les décisions du gouvernement. Dès le 26 février (à 9 h.), la coordination nationale appelle à manifester devant l’Assemblée nationale pour l’application d’une plate-forme revendicative qui vise, au final, l’arrêt de la précarité dans le secteur public.

Laurent

Saint-Ouen - Foyer

La question du CARA, c’est : quel avenir ?

Le CARA, centre audonien de rencontres et d’accueil, vous connaissez ? C’est cette tour grise que l’on aperçoit en face de la Mairie, au fond de la petite rue Jules Guesde. C’est un foyer de jeunes travailleurs, mis en place par la municipalité il y a vingt-cinq ans, géré par une association loi 1901, et ces jeunes sont près de 200 à y loger : 13 étages, 16 chambres par étage, faites le calcul ! N’oubliez pas de soustraire une bibliothèque, une salle de sport, salle de télé, cantine, salle de jeux, et salle informatique. "Jeunes", c’est quel âge ? Entre 18 et 30 ans. Le foyer est pour eux une solution provisoire. Et leur problème n° 1 est curieusement, pour beaucoup, de trouver un vrai logement. Ils sont salariés, en formation, ou au chômage Des services leur sont proposés, et avec l’aide de deux animateurs sociaux, un travail peut même se trouver assez rapidement. Pas un logement ! Par ailleurs, 308 euros pour 12 m2, c’est cher. Ajoutez 2,90 euros par repas à la cantine, les jetons pour la machine à laver... En un mot, l’avenir est ailleurs.

Curieusement encore, les salariés qui encadrent le foyer se posent la même question : quel avenir ? Une quinzaine de personnes : deux ouvriers d’entretien, deux animateurs sociaux, des veilleurs de nuit, des femmes de ménage, une direction... Depuis quelques années, le foyer a des recettes suffisantes. Il reçoit toujours les subventions du Conseil général, de la Caisse d’allocations familiales et du ministère de la Jeunesse et des Sports. Mais l’arrêt des subventions de la municipalité, c’est récent. L’immeuble appartient à l’OPHLM. Ce désengagement municipal semble avoir gelé tous travaux et tous projets de réhabilitation. Les jeunes, et leurs délégués, ne manquent pourtant pas d’idées, et souhaitent de légitimes améliorations : une insonorisation des lieux, des douches, des prises téléphoniques dans les chambres, la possibilité de faire la cuisine à l’étage, etc. Est-ce trop demander ? En attendant, bien sûr, de vrais logements et des salaires décents.

Loïc

Editorial :

Non à la guerre impérialiste contre l’Irak !
Mais pas derrière Chirac.

Les manifestations du samedi 17 février 2003 contre la guerre en Irak ont rassemblé une dizaine de millions de personnes dans le monde. Un franc succès pour ceux qui refusent la "Busherie" à venir contre les populations civiles de ce pays. Dans les pays où les gouvernements sont ouvertement partisans des visées militaristes de Bush, les manifestations ont été puissantes. Plus d’un million de participants dans les rues de Londres ont dénoncé la "guerre du pétrole" de Tony Blair. Trois millions ont défilé à Rome et en Italie, conspuant Bush et Berlusconi. Au moins un million et demi à Barcelone et autant à Madrid. A New York, 250 000 opposants à l’agression impérialiste malgré un énorme déploiement policier.

Cette guerre, le gouvernement des Etats-Unis la veut, la prépare, l’organise depuis des mois. Plus de 150 000 hommes encerclent déjà l’Irak et leur nombre croît chaque jour alors que le secrétaire d’Etat, Colin Powell n’a pas fourni la moindre preuve que le dictateur Saddam Hussein dispose d’armes de destruction massive.

L’opposition de Chirac à la politique américaine est toute diplomatique. D’un côté il affirme qu’il faut donner tout leur temps aux inspecteurs de l’ONU, de l’autre il affirme qu’il n’est pas pacifiste. D’un côté, alors que la France intervient en Côte d’Ivoire, il prétend, avec l’Allemagne, la Chine, avec Poutine, le massacreur du peuple tchétchène, constituer un axe de la paix, de l’autre, il se dit " supporter de la solidarité transatlantique ", c’est-à-dire de la politique de Bush, et envoie le porte-avion Charles De Gaulle effectuer de soit disantes manœuvres en Méditerranée orientale. La France et l’Allemagne risquent d’être évincées de l’exploitation des énormes champs pétroliers d’Irak en cas de victoire américaine. Leur poids politique va diminuer dans cette région, alors, pour sauvegarder les intérêts de leurs capitalistes, les requins de l’impérialisme grincent des dents au nom de la paix.

Mais les 200 000 manifestants à Paris, comme les 500 000 à Berlin, même avec des illusions sur la politique pacifiste des Schröder et Chirac, ont au moins démontré par l’ampleur de leur protestation que si guerre il y a, ce ne sera pas avec l’approbation unanime des travailleurs d’Europe et des USA.

 

Petit oubli : dans le numéro précédent de Saint-Ouen Luttes la photo de la manifestation des gens du voyage était de Daniel.