Saint-Ouen luttes n° 24 du 20 septembre 2002

Sommaire

Alstom : à propos de deux décès *

Usine d’incinération :" la vérité s’il vous plaît ! " *

Sans papiers : Les patrons n’ont plus besoin de délocaliser à l’étranger, ils délocalisent ici *

Les gouvernements passent, la précarité s’entasse *

La riposte s’impose *

Les surveillants dans la ligne de mire *

Editorial : Non à la guerre de Bush contre l’Irak *

 

Alstom : à propos de deux décès

Le 20 juillet est décédé Bernard Saffon, un travailleur de l’Alstom, des suites d’un cancer des poumons dû à l’amiante. On lui avait enlevé un poumon il y a quelques mois, et il avait repris le travail. En juin il apprenait que le deuxième poumon était atteint. Il a travaillé presque jusqu’à la fin.

Ce n’est pas le premier travailleur officiellement décédé à cause de l’amiante dans l’usine, puisqu’en mars on apprenait que la direction était condamnée pour " faute inexcusable " à verser 25 000 euros à la veuve de Paulin Gestel, ouvrier monteur décédé en juillet 1996, et à 15 000 euros à chacun de ses deux enfants. Voilà tout ce que vaut la vie d’un ouvrier, et après cinq ans de procédure ! Ce n’est pas le premier travailleur victime du " scandale de l’air contaminé ", mais ce n’est malheureusement pas le dernier non plus. Car les cancers dus à l’amiante se déclarent au bout de 20-25 ans en moyenne après l’inhalation des fibres mortelles. Bernard Saffon travaillait au magasin général de l’usine Alstom, où l’on découpait encore il y a quelques années les plaques d’amiante avant de les répartir dans les différents ateliers.

Le 28 août, Didier Barraud, ouvrier au bobinage, décédait dans des circonstances tout aussi dramatiques. Le 27 après-midi, il se pendait dans son atelier, quasiment désert à cette heure et à cette période de l’année. Dans une lettre retrouvée près de lui, il parle de son diabète. " Ma vie est devenue un enfer ", précise-t-il. Mais le lieu choisi pour mettre fin à ses jours semble indiquer que les raisons personnelles ne sont pas seules en cause. L’atmosphère délétère d’une usine en perte de vitesse, sans perspective d’avenir, pèse sur tous et surtout sur ceux qui sont en difficulté. La dernière nouvelle, pour tous ceux qui pouvaient avoir des problèmes de santé, c’est que le médecin du travail venait de donner sa démission. Une dizaine de salariés étaient payés à attendre chez eux, après accident du travail ou longue maladie, une autorisation de reprise du travail. La direction va donc être obligée d’embaucher un nouveau médecin.

Embaucher, un mot qu’elle n’aime pas.

Loïc

Usine d’incinération :" la vérité s’il vous plaît ! "

" L’usine d’incinération Syctom de Saint-Ouen est aux normes, c’est-à-dire qu’elle est dangereuse ", affirmait Saint-Ouen-Luttes dans son numéro de juin. Et nous posions la question des rejets de dioxine et de métaux lourds, produits extrêmement nocifs pour la santé, même à très petites doses. Nous ne devions pas être très loin de la vérité, car voici que sont annoncés d’importants travaux, d’une durée de deux ans (2003 et 2004) et d’un montant de 35 millions d’euros : trois tours de lavage, une tour de réaction chimique, et trois ventilateurs de dilution. Le résultat devrait être une diminution de 10 à 20 fois de l’émission de dioxine, et une diminution de 70% des émissions de cadmium, de mercure et de plomb.

Déjà lorsque l’usine actuelle a été construite, on nous disait qu’elle polluerait cinquante fois moins que l’ancienne. On améliore donc, et pourtant, il n’y a jamais eu de problème et il n’y a pas d’inquiétude à avoir. Pourquoi, alors, dépenser des millions d’euros ?

Un des problèmes est que les normes sont en pourcentage - en nanogrammes par mètre-cube -, c’est-à-dire en milliardièmes de gramme. Si des milliers et des milliers de mètres-cubes sont rejetés, et c’est le cas pour les incinérateurs géants que sont ceux de Vitry, d’Issy-les-Moulineaux et de Saint-Ouen, ce sont autant de milliers de fois les doses... autorisées qui sont émises dans l’atmosphère.

Le directeur du Centre national d’information indépendante sur les déchets (CNIID) cite spontanément à ce sujet l’usine de Saint-Ouen. " Le principal problème, dit-il (Le Parisien du 23 août), vient des usines géantes, prétendument aux normes, mais qui rejettent en continu des quantités de dioxine suffisantes pour rendre les gens malades. Prenons l’incinérateur de Saint-Ouen, situé en pleine agglomération. On nous dit qu’il est performant. Peut-être, mais, en cumulé, les riverains de ses cheminées sont gravement exposés. Je ne serais pas étonné que le nombre de cancers y soit plus nombreux qu’ailleurs. Une enquête épidémiologique sérieuse autour des gros sites d’incinération de déchets, et notamment des trois géants d’Ile-de-France, nous paraît indispensable. "

Le ministère de l’Ecologie, quant à lui, affirme : " Toutes les connaissances actuelles permettent d’affirmer que les incinérateurs aux normes ne posent aucun problème ". Aucune connaissance d’aucun problème ! Evidemment, si on n’a pas cherché à savoir. Est-ce qu’on a fait une étude de santé à Saint-Ouen, avec les hôpitaux, les centres de soins, les médecins, les ministères concernés ? Jamais. Alors, il n’y a aucun problème, d’après les " connaissances actuelles " !

La question n° 1, suivie de très près, est celle de savoir si les propriétaires de la TIRU, à savoir EDF, Vivendi et la Lyonnaise des Eaux, ont un taux de profit suffisant. La question n° 2 est peut-être de savoir s’ils versent en conséquence une bonne taxe professionnelle à la municipalité. La question n°3, à savoir s’il y a à Saint-Ouen plus de cancers qu’ailleurs à cause de la dioxine et des métaux lourds, c’est la population qui se la pose.

Loïc

Sans papiers : Les patrons n’ont plus besoin de délocaliser à l’étranger, ils délocalisent ici

Depuis l’accueil à la basilique de Saint Denis, les sans-papiers ont à nouveau pu sortir de l’ombre. Après leur départ, leurs manifestations ont montré que le mouvement ne faiblit pas.

Le gouvernement Raffarin, dans la continuité du gouvernement Jospin, entend étudier les dossiers au cas par cas. Une jolie façon de dire que 9 sans papiers sur 10 pourront être expulsés en vertu des lois actuelles, et de renvoyer la question à une somme de problèmes individuels, alors que c’est l’ensemble de la société qui est aujourd’hui concernée.

La décision pour la plupart des sans papiers de venir en France n’est pas un simple choix individuel. Beaucoup fuient les guerres et la répression menée par des régimes corrompus… par les puissances occidentales au rang desquelles la France figure en bonne place. Que l’on pense seulement au Congo-Brazzaville, où Sassou N’Guesso a pris le pouvoir en 1997 par un coup d’état avec le soutien militaire de la France, et où la guerre civile et les massacres, qui ont fait plus de 100 000 morts, ne laissent aucun espoir à la population. D’autres clandestins fuient simplement la misère, quoi d’étonnant à cela quand les entreprises françaises, entre autres, saturent les marchés, rachètent à bas prix leurs concurrents locaux et utilisent des méthodes proches de l’esclavage avec les habitants (travail des enfants, travail forcé,…).

Bien peu d’entre eux réussiraient à atteindre la France si il n’existait pas des réseaux au service du patronat pour organiser leur arrivée. Dans le textile, la restauration, le nettoyage ou le bâtiment par exemple, les sans papiers doivent accepter des conditions de travail que les autres travailleurs refusent : journée de plus de dix heures, pas de minimum de salaire, pas de protection sociale ni de retraite, pas de droits syndicaux… Après le travail, les ennuis continuent pour les sans papiers, qui vont enrichir un peu plus les marchands de sommeil en échange de logements souvent insalubres. N’oublions pas, au passage, certains intermédiaires sans scrupules qui demandent parfois des milliers de francs pour une simple lettre lors des démarches effectuées pour régulariser une situation. La précarité des exploités fait le bonheur des exploiteurs, et permet de tirer vers le bas, en les mettant en concurrence, les conditions de vie de tous les travailleurs.

Car ce sont bien les mêmes intérêts que doivent défendre les travailleurs, français ou étrangers, avec ou sans papiers, face à leurs patrons. La solution n’est pas de criminaliser les victimes de la situation, mais bien de les affranchir de réseaux mafieux, avec des papiers pour tous, pour pouvoir travailler et lutter au grand jour.

Paul`

Les gouvernements passent, la précarité s’entasse

Les entreprises sont certainement le plus haut lieu de l'insécurité : même avec un contrat à durée indéterminée, même dans les boites qui font un maximum de bénéfices, les salariés vivent sous la menace permanente d'un licenciement. Les exemples récents de travailleurs jetés à la rue du jour au lendemain abondent. Pour plus d'un travailleur sur dix (soit pratiquement 2 millions d'individus) cette menace est une quasi certitude puisqu'ils sont réduits à la précarité professionnelle : contrat à durée déterminée, intérim, emploi-jeune, stage ou contrat aidé. Et la proportion de précaires ne cesse d'augmenter. L'angoisse de perdre les moyens de gagner son pain, est la violence la plus répandue. Elle facilite les pratiques patronales comme le harcèlement dont on parle depuis peu.

Les années 2000-2002 ont vu naître et se développer plusieurs luttes de jeunes salariés précaires dans la restauration rapide et le commerce :

· grève de 15 jours pour des augmentations de salaires et une prime de fin d'année au Mc Do du bd Saint-Germain en décembre 2000

· grève de 32 jours au Pizza Hut Opéra pour les mêmes raisons en janvier 2001

· grève historique de 112 jours avec occupation au Mc Do de Strasbourg Saint-Denis, d'octobre à février 2002, pour la réintégration de cinq salariés abusivement licenciés et accusés de vol alors qu'ils voulaient créer une section syndicale, grève victorieuse qui a abouti à leur réintégration.

· grève d'un mois avec occupation à la FNAC Champs Elysées en mars 2002, débouchant sur une augmentation de salaires non négligeable

· grèves enfin chez Go Sport et chez Virgin, pour des augmentations de salaires( pas de treizième mois non plus chez Go Sport), ils ont perdu les tickets-repas en échange des 35 heures.

Derrière la diversité des motifs de ces grèves, c'est la même situation qui est dénoncée : bas salaires, CDD, turn-over, temps partiel imposé, sous-effectif, cadences infernales, répression antisyndicale, harcèlement moral et non respect du personnel.

Après les élections, la question n'est pas réglée. Le Pen construit aussi son audience sur le développement de cette précarité instaurée par les patrons et entretenue par les divers gouvernements de droite comme de gauche. La précarité ronge notre société, elle a pour résultat de diviser la classe ouvrière, mais cette situation n’est pas inéluctable et il dépend de notre détermination, de nos luttes, de ne pas nous laisser diviser, d’obtenir un emploi stable, payé correctement, et dans des conditions acceptables.

Relou

Les raisons du mécontentement

Chez Mc DO, Pizza Hut ou Quick, les conditions de travail, ce sont :

-des temps partiels payés au SMIC (concrètement, 2500 F par mois)

-des horaires de travail qu'on bouge sans cesse de façon à ne payer que du travail à plein rendement

-des heures supplémentaires qu'on oublie de payer

-des pressions psychologiques en tout genre sur ceux qui tentent de se défendre

-le licenciement, sous les prétextes les plus invraisemblables, des salariés qui tentent de s'organiser.

Un travailleur de Virgin raconte :

" La précarité, c'est celle de la vie privée. Je travaille le samedi ou le dimanche. Pour avoir un week-end entier, il faut invoquer une bonne raison. Une de nos revendications est d'avoir 3 ou 4 week-ends par an sans donner de justification. Avec la flexibilité des horaires (le Virgin des Champs Elysée est ouvert sept jours sur sept de 10 heures à minuit), notre vie et même notre sommeil sont conditionnés par le temps de travail. Seuls les jeunes acceptent de travailler jusqu'à minuit. Ils n'ont pas de famille, ils étudient. Quand ils sont "vieux", c'est-à-dire à 30 ans, ils ont des enfants, ils quittent ce genre de boîte.

La riposte s’impose

Ce n’est pas un scoop. Le gouvernement Chirac-Raffarin mène une offensive d’envergure contre le monde de travail, sur la voie tracée par le gouvernement de la gauche plurielle.

Suppression de 5 000 postes dans l’éducation nationale, réduction d’impôts pour les riches, crédits supplémentaires pour la police, mise en chantier d’un nouveau porte-avion nucléaire, démantèlement prévu du système de retraites par répartition, 200 heures supplémentaires annuelles en plus de 35 heures hebdomadaires (soit un samedi travaillé sur deux), augmentation de 70 % pour les ministres, bref, ce gouvernement anti-ouvrier ne cache pas la couleur.

La gauche panse ses plaies électorales et n’a d’autres soucis que de revenir gérer les affaires de la bourgeoisie dans cinq ans. Les grandes centrales syndicales se ruent sur le tapis vert, prêtes à avaliser les retraites par capitalisation. Il n’y a rien à attendre de ces gens-là.

Pour que les choses changent, il est nécessaire que les travailleurs reprennent confiance en eux-mêmes et unifient leurs forces face au patronat et au gouvernement.

Léo

Les surveillants dans la ligne de mire

Le gouvernement veut supprimer plus de 5000 postes de surveillants à la prochaine rentrée scolaire, la plus forte suppression de postes qui ait jamais eu lieu pour cette catégorie.

Personne ne peut imaginer que les collèges et les lycées puissent fonctionner correctement avec un encadrement des élèves aussi réduit, d’autant que les emplois-jeunes qui travaillent dans l’éducation nationale arrivent bientôt au terme de contrats de 5 ans qui ne seront pas renouvelés.

Alors, comment expliquer un tel choix ? Sans aucun doute, le but du gouvernement est de changer le statut des personnels de surveillance. Les surveillants sont actuellement des étudiants, qui disposent de garanties pour que leurs heures de travail soient compatibles avec leurs heures de cours, et qui effectuent 28 heures de présence pour un temps plein. Certains rêvent déjà de leur substituer des emplois précaires, avec un contrat de droit privé au niveau de l’établissement , donc 35 heures pour un salaire qui pourrait bien être inférieur.

Paul

Editorial : Non à la guerre de Bush contre l’Irak

Alors que les bombardements de l’Irak sont quotidiens depuis douze ans, que l’embargo aurait, selon l’UNICEF, fait plus d’un million de victimes civiles, Bush s’apprête à envahir ce pays, sous prétexte qu’il voudrait se doter d’un arsenal d’armes atomiques, chimiques ou bactériologiques, qui constituerait une menace pour les Etats-Unis.

Bush avec son compère britannique Tony Blair est en campagne pour mobiliser les pays riches à la traîne des USA. Les dirigeants européens, en particulier Schroeder et Chirac, rechignent un peu pour la forme, mais s’aligneront derrière Bush si l’ONU vote l’intervention.

Cette guerre, ce carnage qu’on nous prépare n’a guère de rapport avec la soi-disant menace présentée par Saddam Hussein. C’est une opération de politique intérieure américaine.

Bush, mal élu contre Gore, a été sauvé au gong par les attentats de 11 septembre contre les Twin Towers, endossant le costume de Superman en croisade contre le terrorisme international. Il a bénéficié d’un état de grâce qui s’est vite usé avec son échec à capturer Ben Laden en Afghanistan, avec la crise et les faillites d’Enron et de Worldcom. Une nouvelle guerre contre l’Irak lui permettrait de redorer son blason.

Cette guerre, la première puissance mondiale la veut, et il semble que même l’acceptation par l’Irak de la présence d’inspecteur sur son territoire, ne dissuadera Bush d’intervenir militairement.

Si l’Etat américain hésite à intervenir, ce n’est pas pour des raisons humanitaires.

Des bombardements aériens seraient moins risqués pour les USA, mais laisseraient vraisemblablement intact le régime de Saddam Hussein. Une intervention terrestre aurait sûrement plus de possibilités de succès, mais serait infiniment plus meurtrière, pour l’armée américaine s’entend.

Les travailleurs ne peuvent nourrir aucune sympathie pour le régime dictatorial de Saddam Hussein, mais ils sont aux cotés des travailleurs d’Irak, qui seront les premières victimes de ce conflit.

Cette guerre n’est pas la guerre des travailleurs, c’est une guerre des états riche contre les pauvres, et nous nous associerons à toutes les manifestations pour nous y opposer.

 

Retour à l'accueil